mardi 16 février 2010

Le gai savoir de Baudrillard

Revue Lignes n°31 - Numéro spécial consacré à la pensée de Jean Baudrillard



Lignes consacre son trente et unième numéro à Jean Baudrillard. D’abord, parce que des liens personnels l’unissaient à celui-ci. Qui ne sont pas beaucoup apparus, il est vrai (d’autres liens semblaient plus évidents – Derrida, Lacoue-Labarthe, etc.). Mais ce sera que Lignes n’aura pas su les faire apparaître plus, ni même assez.

Mais Jean Baudrillard était ainsi fait qu’il n’était pas aisé de faire apparaître quels liens pouvaient unir à lui. Peut-être même était-il fait pour ne pas supposer ni supporter longtemps quelques liens que ce soit. Toujours en mouvement, cherchant toujours – c’était au principe de son irrépressible ironie – comment faire pour que le mouvement général en fût démasqué  ; aussi oublieux que possible, à la vérité, de la possibilité de n’être pas seul (même s’il arrivait que, comme tout un chacun, il s’en plaignît aussi).

Il ne s’agira pas de lui rendre hommage  : lui consacrer un numéro, de fait, en constitue un. Il s’agit bien plutôt de faire le point sur l’œuvre qu’il laisse – certainement l’une des plus «  visionnaires  » (le mot, pour une fois, est juste) –, de mettre celle-ci à l’épreuve de lectures nouvelles – en tout premier lieu, de lectures philosophiques et politiques (celles que Lignes, mieux que d’autres revues, est susceptible de rassembler). Les rapports de Jean Baudrillard avec la classe philosophante française n’ont pas toujours été cléments. Avec la classe philosophante, non plus qu’avec la classe académique (universitaire) en général (sa célébrité à l’étranger a pourtant été considérable, sans commune mesure, qui n’a pas suffi à inverser cette tendance). La vitesse et la désinvolture (apparente) de sa pensée ont souvent irrité. Sa radicalité (ses coups d’éclat) aussi  : ne se représentait-il pas ses interventions comme des délits  ? En même temps, il n’est pas sûr que quelques-uns de ceux qu’elles irritaient ne l’enviaient pas aussi. Si libre que fût l’époque qui a permis qu’un Baudrillard existât, la vie n’est pas si brève que celui ne connût pas le resserrement, l’étouffement de toutes les libertés, ni l’incompressible tristesse dans laquelle tous allaient bientôt se rencogner – le jugeant alors, et mal. Lignes rassemblera donc ici des lectures nouvelles qui risquent peu, certes, d’être académiques  ; qui ne risquent pas même de ressortir de l’académisme que l’imitation de Baudrillard, comme l’imitation de tout maître, est susceptible, à son tour, de faire naître.

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